Conférence de M. Kostas Vergopoulos

Conférence de M. Kostas Vergopoulos

Professeur de sciences économiques à l’université de Paris-VIII
Expert auprès des Nations Unies et de l’Union Européenne.

Conférence organisée par l’AJVAH, Association de Jumelage Villeneuve d’Ascq – Haïdari
Château de Flers – vendredi 7 octobre 2011

La crise grecque et ses conséquences sur la zone Euro.

La Grèce représente environ 2 % du PIB de la zone Euro[1].
Son endettement doit donc être ramené à la hauteur de ces 2 % de l’endettement de l’ensemble de la zone euro.
La dette publique de la Grèce s’élève à 350 milliards d’Euros et la dette publique de l’ensemble de la zone Euro s’élève à 14 000 milliards d’Euros. La dette de la Grèce n’est donc que 2,5 % de l’ensemble de la dette de la zone Euro.
Ainsi, c’est toute la zone Euro qui connaît une situation explosive.

Le problème le plus urgent n’est pas vraiment la dette grecque en soi mais la façon dont l’Union Européenne la gère en l’aggravant et en favorisant la contagion aux autres états membres.

« La fabrique de l’homme endetté, essai sur la condition néolibérale »[2] est un ouvrage récent dans lequel l’auteur estime que la logique du système dans lequel nous vivons aujourd’hui est de transformer chaque individu en sujet économique endetté.

S’agit-il d’une crise ou d’une escroquerie ? Les plans de sauvetages ne sont-ils pas que des façons de brader le patrimoine grec ? La loi des créanciers n’est-elle pas qu’un retour pur et simple au féodalisme ?

Quelques chiffres posent le problème dans sa réalité :
La dette américaine est d’environ 14 600 milliards de $[3] soit le même niveau que la dette européenne. La dette japonaise représente 12 000 milliards de $ soit 225 % de son PIB et est donc nettement supérieure en valeur relative à la dette européenne. Il en est de même pour la dette britannique. Pourtant, il n’existe pas de menaces, ni sur les USA, ni sur le Japon, ni sur le Royaume Uni.

L’Europe réclame le droit à l’inertie et reste sourde aux appels des USA ou du FMI, de la Chine et même du Brésil. Les plans de sauvetage des sommets européens successifs ne sont que des palliatifs et ne constitue pas un traitement de fond.

Au niveau international, il existe un véritable « parti de la crise » (par exemple : le parti républicain aux USA). Ses partisans souhaitent la dégradation de la situation. Sur la base de quelle idéologie ? Celle du néo-libéralisme. On assiste un une véritable apologie de la crise comme quelque chose de salutaire qui conduirait à un assainissement par l’accélération de la « sélection naturelle » et la disparition des « canards boiteux ». La conséquence en sera nécessairement l’augmentation du chômage par suppression des emplois « fictifs », non rentables, non compétitifs.

Cela ressemble à ce qui s’est passé dans les années 30 avant l’arrivée du président Roosevelt. Celui-ci a dû se battre contre tous pour imposer ses solutions à la sortie de crise, c’est-à-dire une politique de relance, de maintien de l’emploi et de l’activité.

On ne peut assainir l’économie que si on lui garde sa souplesse. La relance est une condition de l’assainissement. Or ce à quoi nous assistons aboutit à une véritable asphyxie de l’économie grecque. La récession est de – 7 % par an et conduit à un risque de confiscation du patrimoine. Dans ces conditions, on peut se demander quel est la nature du partenariat avec les autres pays de la zone Euro. Force est de constater que les mécanismes de sauvegarde n’existent pas. Par exemple, il n’existe pas de véritable Fonds Monétaire Européen. La monnaie fédérale a été établie sans mécanisme fédéral de sauvegarde dont la création avait pourtant été annoncée comme devant suivre celle de l’Euro.

La dette grecque, les dettes européennes sont essentiellement des dettes « intérieures ». Ce n’est pas le cas de la dette américaine (dette essentiellement envers la Chine). Les pays européens endettés le sont en euros auprès des institutions européennes. Il n’y aurait donc pas de raison objective que cela menace l’Euro ou l’Union Européenne.

Revenons un instant sur les critères de Maastricht. Le déficit public annuel de chaque Etat doit rester inférieure à 3 % du PIB et la dette publique inférieure à 60 % du PIB. Dans le même temps, il n’existe plus de possibilité d’émission monétaire pour les Etats et plus de possibilité d’emprunter au-delà de 3 %. Cette contrainte n’existe pas pour les pays qui ont choisi de rester en dehors de la zone Euro. À titre d’exemple, le 7 octobre 2011, sir Mervyn King, gouverneur de la Bank of England a annoncé la décision de celle-ci d’injecter 75 milliards de livres dans l’économie britannique[4] bien que le Royaume Uni soit dirigé par un conservateur, David Cameron.

Il était logique, du point de vue de la monnaie unique, d’interdire aux Etats toute création monétaire mais ce privilège aurait du être transféré à la Banque Centrale Européenne. Toutes les monnaies du monde peuvent exercer ce privilège pour se défendre, à l’exception d’une seule, l’Euro. Tant et si bien que recapitaliser les banques, par exemple, ne peut se faire que par de l’endettement supplémentaire, c’est l’ouroboros, le serpent qui se mord la queue.

En créant de la monnaie, la dette est dévalorisée. Au contraire, la déflation augmente le poids de la dette et c’est l’option choisie par l’Europe. Le système européen ne travaille que pour les créanciers.

Le comble de la paranoïa, c’est que les exportations de l’Union Européenne vers l’extérieur ne représentent que 8 % du PIB (à titre de comparaison, la Chine exporte 60 % de son PIB ) ; 92 % est consommé dans l’Union Européenne. Par une politique déflationniste, on pénalise d’abord l’Union Européenne.

Il s’agit d’un problème dont les variables choisies et imposées par l’Europe même rendent insoluble.

Il y a une véritable surenchère à procéder à une réduction des dépenses. L’Italie annonce 85 milliards d’euros d’économies et immédiatement sa note est dégradée par les agences de notation. La crise fait tache d’huile. En réduisant les dépenses, on mine la capacité à s’endetter et la note se dégrade.

Toute l’économie européenne se dégrade sous la pression de l’Allemagne, d’Angela Merkel et de la Deutsche Bank qui est derrière elle. En France, on n’atteindra certainement la croissance nulle au mois de décembre 2011 et l’année 2012 devrait voir une croissance négative.

On ne pourra payer ses dettes qu’avec des revenus, or les revenus se réduisent sous prétexte d’assainissement (en fait il s’agit d’une asphyxie de l’économie). Cela rappelle la fin du XIXème siècle jusqu’à 1914.

En octobre 2010 paraît « Indignez-vous ! »[5]. Suivront un peu partout dans le monde des mouvements des indignés, en Espagne, en Grèce, en France, aux Etats-Unis. Il s’agit d’un moment important car les peuples du monde exigent tous la même chose, la mise sous contrôle des banques et institutions financières.

Pour mémoire, Roosevelt avait établi une stricte séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires afin d’éviter toute spéculation avec les capitaux des petits épargnants en dépôt dans les banques. Cette stricte séparation a été supprimée en 1989. Depuis cette date les banques peuvent spéculer avec l’argent de leurs clients. Barak Obama a rétabli cette règle de séparation aux états Unis mais rien n’a été fait en ce sens en Europe. Tandis que les USA reviennent à la régulation, l’Europe est devenue le paradis des spéculateurs hors contrôle.

Si nous examinons l’histoire économique de l’humanité, force est de constater que la dette a toujours conduit l’homme à la perte de sa dignité et les pays endettés à la perte de leur souveraineté. L’homme endetté devient l’esclave de son créancier tout comme les membres de sa famille. Le créancier acquiert un droit de vie et de mort sur l’endetté. Cette situation a perduré durant l’Antiquité jusqu’à Solon[6]. Lorsqu’il devient archonte, en 594 av. J.C., il abolit l’esclavage pour dettes et affranchit ceux qui étaient tombés en servitude pour cette raison. Il est généralement admis que cet acte marque le début de la démocratie athénienne. Les hommes libres ne risquent pas de devenir esclaves d’autres hommes libres à cause de leurs dettes.

Par la suite, nombre de régimes autoritaires se caractérisent par la libération de la cupidité du créancier.

Malgré son intérêt, l’Europe s’avère incapable de proposer des voies de sorties de situations de surendettement. Cela révèle l’ignorance de l’histoire économique de Solon à Roosevelt. En 2009, la dette grecque est déclarée non viable car trop importante par rapport à son PIB. Mais, en deux ans, le PIB grec aura été réduit de 14 % et la dette grecque représente aujourd’hui une part plus importante du PIB. La politique d’austérité est contre-productive y compris du point de vue du créancier. Tandis que Barak Obama et Christine Lagarde prônent un changement radical de politique économique et proposent de mettre le cap sur la relance, tandis que le FMI, la Chine et même le Brésil proposent d’aider l’Europe en lui prêtant des fonds, l’Europe résiste. Il y a crise de la liquidité mais les taux restent prohibitifs, aux alentours de 2 % en Europe alors qu’ils sont nuls aux USA. Comble de l’ironie, la BCE a accepté l’injection de dollars dans l’économie européenne pour la relancer.

L’Europe a tout à gagner à mettre sous contrôle les banques des spéculateurs. Elle doit faire de la stabilisation de l’économie une priorité et non donner la priorité à la finance.

Résumé rédigé par Alain Carette et corrigé par Kostas Vergopoulos.

Bibliographie sommaire de Kostas Vergopoulos

• « Mondialisation, la fin d’un cycle. Un essai sur l’instabilité internationale. », Kostas Vergopoulos. Editeur Séguier, mars 2002
• « Le capitalisme difforme et la nouvelle question agraire. L’exemple de la Grèce moderne. », Kostas Vergopoulos. Editeur La Découverte, janvier 1977
• « La question paysanne et le capitalisme. », Samir Amin et Kostas Vergoupolos. Editions Anthropos, 1974
• « Monnaie européenne, monnaie virtuelle ? », Kostas Vergopoulos. Le Monde du 5 mars 2010 (en ligne).
• « La menace d’une déflation continentale. », Kostas Vergopoulos. Libération du 27 mai 2010 (en ligne).
• « La politique de récessions compétitives emmène la Grèce et l’UE dans le mur », L’Humanité, 13 septembre 2011 (en ligne).
• « Sur l’égoïsme allemand », Eurotopics, 7 octobre 2011 (résumé en français en ligne).
• « Le mal européen », Revue Multitudes, mars 1996 (en ligne).
• « Le néolibéralisme contre l’état ? », Le Monde Diplomatique, n°328, 1981.


[1] En 2008, le PIB de la Grèce était de 343 milliards d’Euros et celui de l’ensemble de l’Union Européenne, de 15 173 milliards d’Euros.
[2] Maurizio Lazzarato, éditions Amsterdam, 2011
[3] A titre de comparaison, le PIB des Etats-Unis d’Amérique était de 14 526 milliards de $ en 2010
[4] Le lendemain, l’agence de notation Moody’s a dégradé la note de douze établissements financiers du Royaume Uni.
[5] éditions Indigène
[6] Solon, homme d’Etat, législateur et poète athénien (640 – 558 av. J.C.)