Le statut de frontalier va connaître, au 1er janvier, de profondes modifications. Quelles conséquences, tant côté français que belge ? Éléments de réponse avec Olivier Beddeleem, maître de conférences à l’Edhec.
En théorie, il reste quelques jours pour trouver un job en Belgique et obtenir le statut frontalier. Mais il y a aussi toute une procédure administrative.
Nord Eclair mardi 20 décembre 2011
Depuis quand existe ce statut de frontalier et pourquoi a-t-il été créé ?
>> Ce statut a été formalisé dans une convention de 1964, la convention fiscale franco-belge. Elle a été créée pour développer les échanges entre les deux pays. À l’époque, on était en situation de plein emploi dans les deux pays. Mais il fallait trouver des salariés dans certains domaines spécifiques. Pour les inciter à franchir la frontière, on leur a dit qu’ils allaient conserver les conditions d’imposition de leur pays d’origine. Un salarié travaillant dans une bande de 20 km de part et d’autre de la frontière continuait ainsi à payer ses impôts dans son pays de résidence. Dans un premier temps, ce sont surtout les Belges qui sont venus travailler chez nous. Notamment dans le textile à Roubaix.
Sauf que la situation a évolué dans le temps…
>> Effectivement. Aujourd’hui, sur les 30 000 travailleurs frontaliers, ce sont 25 000 Français qui vont travailler en Belgique (dont 6 000 domiciliés dans la zone Roubaix-Tourcoing) contre environ 5 000 Belges qui viennent travailler en France. À cette inversion de tendance, deux raisons : la fermeture chez nous, dans les années 1970, des grosses industries et, d’autre part, le statut de transfrontalier qui est devenu de plus en plus attrayant pour les Français.
En quoi ?
>> La pression fiscale sur les salaires est plus élevée en Belgique qu’en France. Les salaires y sont donc aussi plus élevés. Exemple : un couple qui gagne 90 000 E par an et qui a quatre enfants paie 28 000 E d’impôts sur le revenu en Belgique contre « seulement » 5 000 en France. Traduit en salaire, cela veut dire une différence d’environ 2 000 E par mois !
On comprend qu’il y ait davantage de Français à travailler en Belgique que l’inverse…
Pourquoi a-t-on décidé de modifier cette convention de 1964 ?
>> Le changement s’est fait à la demande de la partie wallonne. Le statut avait deux effets : le premier était que cela augmentait le chômage en Wallonie puisque les Français y prennent des emplois. Le deuxième était un manque à gagner puisque ce sont quelque 25 000 Français qui vont travailler en Belgique, mais qui paient leurs impôts en France. Par contre, les Flamands ne souhaitaient absolument pas de changements, car ils sont encore aujourd’hui en situation de plein emploi et qu’ils ont besoin de la main-d’oeuvre française. Mais c’est le point de vue wallon qui l’a emporté. Ils ont créé un rapport de forces en appliquant de façon très stricte un point de l’accord qui interdit au salarié de travailler, ne serait-ce qu’une journée, en dehors de cette bande de 20 km.
Et quel était le point de vue de la France ?
>> La France n’avait bien sûr aucune envie que cette convention de 1964 soit modifiée. Elle exportait son problème de chômage et elle empochait des impôts supplémentaires. La France a plié, mais elle a réussi à négocier une mise en place progressive du nouvel accord. L’accord a été signé fin 2007. Il s’est appliqué immédiatement pour la Belgique. Les Belges qui viennent travailler en France paient depuis leurs impôts sur le revenu en France, c’est-à-dire le lieu de travail. Sur les dernières études, on voit d’ailleurs que le nombre de Belges venant travailler en France est en train d’augmenter. En revanche, pour les Français, on a négocié trois choses : d’abord, un délai de carence. Le statut ne disparaît qu’au 31 décembre 2011. Ensuite, l’autorisation pour un frontalier de passer un certain nombre de jours de travail en dehors de la zone frontalière sans perdre son statut. Enfin, on a négocié le fait que les bénéficiaires du statut avant le 31 décembre 2011 peuvent en bénéficier jusqu’en 2033. Et ils le gardent même s’ils changent d’employeur dans la zone frontalière.
Quelles sont les incidences à plus long terme ?
>> Sur les choses que l’on peut envisager de façon certaine, il y aura moins de Français à chercher du travail en Belgique. On va donc avoir une aggravation du manque de main-d’oeuvre en Flandre. Par contre, on aura beaucoup plus de Belges qui vont venir travailler en France sur toute la zone frontalière. On peut aussi penser que certaines entreprises belges, notamment flamandes, vont devoir se délocaliser côté français faute de trouver de la main-d’oeuvre chez elles. Et le jour où on aura 20 000 ou 30 000 Belges, notamment Flamands qui travailleront dans le Nord, il faudra pouvoir leur offrir toute une gamme de services adaptés. Savoir parler néerlandais sera vraiment un plus…