Déficits : Bruxelles refuse (pour l’instant) de sanctionner l’Espagne et le Portugal

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Romaric Godin  |  18/05/2016,

 

Pierre Moscovici a justifié la modération de la Commission européenne sur les déficits espagnols et portugais. (Crédits : © Yves Herman / Reuters) La Commission a donné un délai supplémentaire aux deux pays ibériques pour corriger leurs trajectoires budgétaires. Une défaite pour les orthodoxes.

Bruxelles refuse de décider. La Commission européenne n’a pas, ce mercredi 18 mai, recommandé d’entamer une procédure de sanction à l’égard de l’Espagne et du Portugal. Même décision vis-à-vis de l’Italie. En réalité, ce n’est pas un blanc-seing que l’exécutif donne à ces trois pays, mais un délai supplémentaire. Elle appelle ainsi le Portugal et l’Espagne à « prendre les mesures structurelles nécessaires » et à « consacrer toutes les recettes imprévues à la réduction du déficit et de la dette. » La Commission réexaminera le cas de ces deux pays en juillet, soit après les élections espagnoles du 26 juin. Concernant l’Italie, le prochain examen est prévu « d’ici novembre ».

Plusieurs risques

La Commission, très divisée sur le sujet, a donc refusé de prendre le risque d’entamer une « procédure dure » incluant la possibilité de sanctions envers l’Espagne et le Portugal. Il est vrai que le risque était sans doute trop important. En Espagne, Bruxelles risquait d’alimenter un sentiment de révolte contre l’austérité renouvelée et de placer la question du respect du pacte de stabilité au cœur de la campagne. Politiquement, ceci aurait posé un problème pour le parti de Mariano Rajoy, le président du gouvernement espagnol, qui tente actuellement de promettre le respect du pacte de stabilité et des baisses d’impôts. Au Portugal, le risque était encore plus élevé : celui de voir l’agence canadienne DBRS dégrader le pays. Or, dans ce cas, la BCE aurait cessé de racheter de la dette lusitanienne, provoquant une crise majeure autour du Portugal. Quant à l’Italie, c’eût été encore jeter de l’huile sur le feu alors que Matteo Renzi est en difficulté avant les élections municipales de juin.

« Pas le bon moment »

Bruxelles est donc sur la défensive. Pierre Moscovici a, du reste, expliqué qu’il fallait encore « consolider les moteurs de la reprise » et que ce « n’était pas le bon moment » pour lancer une sanction. Il est vrai qu’économiquement, engager une politique d’austérité renforcée dans ces trois pays eût été un vrai risque alors que la croissance portugaise et italienne reste très faible (respectivement 0,1 % et 0,3 % au premier trimestre 2016) et que la croissance espagnole dépend fortement des gains de pouvoir d’achat dus à la baisse du prix du pétrole. Bref, il était temps de faire usage de la flexibilité promise par Jean-Claude Juncker.

 

Victoire à court terme

C’est une victoire à court terme pour les gouvernements des trois pays. Mais la surveillance de la Commission n’est pas levée pour autant. Ce délai donne un peu d’air aux Etats concernés qui sortent d’une grave crise économique causée par l’austérité, mais il ne leur donne pas de moyens supplémentaires. La politique budgétaire est neutre en zone euro, elle n’a pas d’effet positif sur la croissance. Au passage, on remarquera que le remède austéritaire infligé à ces trois Etats n’a pas permis, comme promis, de redresser les finances publiques. Sans compter qu’infliger à un Etat en déficit une amende de 0,2 % du PIB n’est pas en mesure de réellement résoudre le problème… A terme, la zone euro doit redéfinir ce cadre budgétaire et la gestion des déséquilibres. Il est peu probable que cette discussion ait lieu. On est donc en permanence dans une situation précaire où Bruxelles gère le court terme.

Défaite allemande

Cette décision est perçue comme une défaite par les tenants de l’orthodoxie budgétaire. La Commission dispose en effet avec les directives Two Pack et Six Pack ainsi qu’avec le semestre européen de nouvelles armes. Mais, pour beaucoup, cette décision sur ces trois pays prouve son manque de volonté à les utiliser. En Allemagne, cette décision risque de faire grincer des dents et d’alimenter la proposition du ministre des Finances Wolfgang Schäuble et du  président de la Bundesbank, Jens Weidmann, d’ôter la surveillance budgétaire à la Commission pour le confier à une institution indépendante chargée de « constater » seulement le respect des règles. On verra si cette idée fait son chemin dans les projets de réformes de la zone euro que préparent la France et l’Allemagne.