Archives : Carnets de voyage en Grèce et en Turquie 3 novembre – 10 novembre 1990

La Grèce c’est 10 millions d’habitants sur 132 000 km2, 0,2% de croissance, 8% d’analphabétisme, un PIB de 4800$ par habitant contre 16200$ pour la France, une consommation d’énergie de 24 millions TEC (tonnes équivalent pétrole) contre 212 en France.

 

Chef de l’Etat : C Karamanlis

 

Chef du gouvernement : C Mitsotakis après 9 ans de gouvernement de A Papaendreon

 

Rappel : la sombre période de dictature des colonels de 1967 à 1977

 

3 novembre 1990

 

Il est 6h30 quand le réveil m’ouvre sur une journée d’automne froide (2°) humide et plutôt tristounette.

 

Un bon café, une douche, une musique rétro sur Europe 2, la fraicheur d’un rasoir, une valise à boucler et me voici prêt un traitement quotidien de mon courrier et de la presse…

 

avec (en prime) une déclaration sur les britanniques et l’Europe… il faut bien se faire plaisir…

 

Mais aujourd’hui la journée ne suivra pas son cours quotidien de petits et gros problèmes de petites satisfactions et d’ennuis de tous ordres.

 

A 9h15 je pars pour Bruxelles. Il pleut il fait triste… Mais au bout d’une heure et quand ce n’est pas le Parlement mais l’aéroport et après un nouveau bon café et un croissant, décollage direction Athènes.

 

Trois heures de vol. Un repas médiocre, quelques perturbations, des lectures en anglais, un peu de vocabulaire.

 

Quelques beaux paysages quand les nuages nous le permettent et bientôt les côtes découpées de la Grèce, des souvenirs de mes livres de géographie d’antan, quelques rêves éloignés, la Grèce, ses dieux, ses légendes, ses mythes… oui la Grèce est là sous  nous.

 

On croit rêver  : 25 degrés. L’été en somme pour nous. Les dernières minutes de vol font découvrir un paysage assez éloigné des rêves de jeunesse.

 

Si la mer et ses côtes sont là, l’urbanisme uniforme et triste des années 50-60 est loin de la splendeur  hellénique.

 

L’aéroport est là, lui aussi tristounet. Embouteillé, la reprise des bagages est difficile, la douane pénible avec l’épisode comique de 3 ou 4 douaniers penchés sur mon passeport, dubitatifs avant de conclure d’un signe respectueux : « diplomatie ».

 

Reste à trouver un taxi et lui donner l’adresse de l’hôtel.

 

Panique ! Il ne le connait pas ; il va voir le policier en faction puis il repart apparemment peu convaincu.

 

Effectivement nous allons « visiter » Athènes, au moins ses rives avant d’enfin trouver. Cela dit ce n’est pas cher : 1000 drachmes (37 francs)… L’hôtel, quant à lui, est sympa et confortable…

 

Les rues étaient plutôt vides et souvent pas très propres mais la vision depuis le balcon de l’hôtel me replonge dans le rêve. Face à nous l’Acropole qui domine la cité, des milliers d’années recouvrées, le plongeon vers nos racines.

 

Une douche, le temps de passer des vêtements d’été… (il fait si chaud)… et c’est le départ à la découverte de rues et de places vides et peu éclairées avec néanmoins quelques magasins plutôt sympa où dominent fourrures, bijoux et reproductions de sculptures.

 

Au demeurant, on est loin d’une Capitale.

 

Enfin au détour d’une église où, à 18h30, on célèbre un grand mariage très habillé… un secteur piétonnier où grouillent des boutiques et au détour d’une impasse un restaurant en plein air.

 

Le rêve. Il fait la chaleur d’un été en Provence. L’ambiance est douce, la chair est bonne. De la cuisine grecque chaude et douce avec un poisson frit !…

 

Il est 21h (20h en France)… le temps s’écoule doucement… le rosé grec fait son effet… les traits s’étirent… il est temps de rentrer.

 

La chambre lourde et chaude d’un été redécouvert, l’Acropole éclairé, un balcon accueillant. Que la vie peut être belle par moment… Qu’il est bête de ne pas en profiter davantage.

 

Un dernier verre… Un match de catch sur une chaine TV en anglais…

 

Il est 22h et c’est la valse hésitation entre l’envie de s’endormir sur un tel rêve et celle de prolonger des moments infinis…

 

Dehors la rue s’est animée. La ville que l’on croyait morte ou presque est devenue bruyante avec cris, klaxonnes, démarrage. Un peuple habillé comme pour sortir le samedi est descendu et oui…. on est samedi, même sous l’acropole éclairé….

 

On est bien loin de la crise du golfe qui me hantait quelque peu avant mon départ.

 

Je suis sûr qu’à Bagdad, les gens sont aussi dans la rue.

 

Quelle connerie la guerre ! ….

 

4 novembre 1990

 

Il est 7h quand un rayon de soleil tire le signal du réveil.

 

Dehors sur la terrasse il fait déjà doux.

 

L’acropole est toujours là. Un petit déjeuner. Une bonne douche et je suis prêt pour un dimanche grec.

 

D’abord une petite promenade dans les vieilles rues de la plaka. Quelques ruines du 1er siècle av J.C. Un marché grouillant style Wazemmes en plus décontracté. Un sentiment de complète sécurité, de décontraction. Beaucoup d’objets… très souvent de bon goût. Dans les rues commerçantes beaucoup de cuirs et de fourrures accrochés dans la rue sans aucune protection. Étonnant quand on sait les vols chez nous à l’intérieur même des magasins malgré tous les systèmes de protection. Il semble donc bien que la délinquance croit avec le niveau de développement du pays.

 

Et maintenant au travail : Une longue discussion avec une chargée de relations internationales au PASOK (parti socialiste Grec) avec examen de la situation politique en Grèce, celle du PASOK et celle du pays. Un pays qui, aux dires des socialistes, souffre beaucoup du retour de la droite au pouvoir depuis juin 89 : chômage, hausse des prix, réduction des services publics. Ici la droite n’est pas considérée comme faisant partie des forces démocratiques.

 

Un grand moment : une heure et demi de rencontre assez passionnée avec Andreas Papaendrou 1er ministre socialiste de 81 à 89 qui va longuement me parler des relations Grèce-Turquie en terme de guerre toujours possible tant les sujets de conflits sont nombreux.

 

J’avoue que je n’imaginais pas cet état de tension.

 

Puis il analyse la crise du golfe où il est assez proche de la position française mais toujours avec une forte suspicion vis-à-vis des turcs. Une sensibilité certaine à la crise des balkans avec pour Mr Papaendrou une forte possibilité d’éclatement de la Yougoslavie. D’où la nécessité partagée avec la France d’un nouvel équilibre européen plus recentré vers le centre et l’est.

 

Un bonhomme passionnant ce Papaendrou et donc un bon moment très instructif.

 

Il est plus de 14h quand nous quittons l’hôtel où il vit et il consulte.

 

Une brasserie sous le soleil dans ce quartier résidentiel,

 

Il est 16h lorsque s’opère le retour à l’hôtel.

 

Une bonne douche, une petite sieste, du shopping, le soir est là avec ses restaurants sympa, ses rues piétonnes, son plein air. On se croirait en été et en vacances.

 

Lundi 5 novembre 90

 

Deuxième et dernier jour à Athènes. Il y fait toujours beau avec un petit soleil dès 7h30.

 

Un petit déjeuner, les infos en anglais sur la crise du golfe.

 

Un tour opérator, une visite classique mais bien utile pour mieux se rendre compte quand on a pas beaucoup de temps. Les rues, une cathédrale, quelques vestiges, le stadium, les universités, le Parlement, le gouvernement et surtout l’Acropole tout en travaux. On est assez loin des livres d’histoire mais cela vaut quand même la peine.

 

Le temps est lourd.

 

A 1h je suis de retour à l’hôtel. Le temps de se changer pour aller casser une petite croute, écrire quelques cartes postales. La journée s’étire lentement.

 

Une longue promenade en un Centre Ville hyper pollué et hyper bruyant et le retour à la PLAKA, quartier touristique et agréable au pied de l’Acropole.

 

Un petit passage à l’hôtel et c’est l’heure d’un repas rapide mais agréable suivi d’un dessert en terrasse.

 

Il est 22h, l’heure de faire les valises. Demain réveil à 5h pour un vol en direction d’Istanbul à 7h20.

 

Dur de se réveiller à 5h, de se préparer et de boucler les valises. A 5h50 le taxi est là qui m’emmène à l’aéroport. Malheureusement il y a deux aéroports et nous n’avons pas été déposé au bon. Il faut reprendre un autre taxi. Heureusement que j’avais de l’avance.

 

7h30 l’avion décolle sous le soleil mais le paysage se cache bien vite sous d’épais nuages. Et c’est sous un épais manteau et une pluie battante que nous arrivons à Istanbul.

 

Heureusement, on m’attend sous la passerelle d’où on nous mène en voiture dans un salon d’accueil VIP très confortable pendant que se font les formalités de police et que l’on récupère pour nous nos bagages.

 

Ensuite départ pour le Hilton et 1h15 de route, d’embouteillage monstre, de pluie. Il est 10h30 à l’arrivée mais le voyage et l’arrivée ont permis de très intéressantes discussions.

 

Et après l’analyse grecque j’ai très vite l’opinion turque.

 

Le temps de se rafraichir, de regarder par la fenêtre les immeubles grisâtres et sales.

 

Quand je pense que certains me disaient de rester moins à Athènes pour aller plutôt à Istambul

 

Le repas au Hilton c’est fou. Pas mauvais mais hors de prix 200 000 livres soit 550 francs pour un buffet certes de qualité mais quand même.. Le perrier est à 50 francs, le café à 30 et le petit déjeuner à 100 francs.

 

Plus les pays sont pauvres plus les hôtels internationaux sont chers…

 

Début d’après midi avec discussions et piano bar. Une heure en voiture en ville pour aller voir le Bosphore. Une circulation folle et sans aucune règle : c’est le premier partout, à droite à gauche ou ailleurs, qui a raison…

 

Résultat des embouteillages sans nom dans une ville où l’on doit construire les rue quand on n’a plus rien d’autre à faire…

 

Une petite promenade à pied pour terminer l’après midi et le retour à l’hôtel pour remplir mes carnets et écrire mes cartes postales.

 

Dehors il a cessé de pleuvoir mais en quelques heures nous sommes passés de l’été à l’automne.

 

La soirée se terminera au restaurant chinois du Hilton : ambiance différente, cuisine plutôt raffinée, addition élevée (mais c’est la règle ici)… A 22h la fatigue aidant c’est « l’extinction des feux ».

 

Mercredi 7 novembre 9h

 

Un solide petit déjeuner de travail avec croissants, fruits, fromage etc… et 1 heure de discussion.

 

Avant d’aller « marchander » au grand bazar, immense lieu de commerce et de marchandages dans le vieil Istanbul.

 

Très pittoresque… mais on ne sait jamais à l’issue du marchandage, au moment de payer, si on ne s’est quand même pas fait rouler. Le principal est d’avoir essayé.

 

13h30 retour à l’hôtel pour se préparer avant la séance d’ouverture. Dehors il ne pleut plus, mais il fait gris et frais, un vrai temps d’automne de chez nous.

 

15h la séance solennelle d’ouverture commence. Tout le gratin est là, du monde diplomatique et politique, avec sa série de discours.

 

Une heure et demi après on a fait le vide des invités et à huit clos la discussion va se tendre considérablement entre les députés européens et les députés turcs (et surtout entre les Grecs et les Turcs).

 

Pour les Turcs, l’Europe ne tient pas ses engagements vis à vis de la Turquie.

 

Pour les Européens, la Turquie a encore du chemin à parcourir dans le domaine des Droits de l’Homme.

 

Une discussion sans surprise tout à fait conforme à ce que l’on attendait.

 

Mais  l’important réside peut être dans l’existence même de cette discussion. La séance se termine  vers 18h45 après un incident suite à la distribution d’une invitation à un petit déjeuner pour y rencontrer un représentant « du gouvernement Chypriste turc ». Gouvernement non reconnu et particulièrement contesté par les Grecs.

 

Il était temps de lever la séance…

 

20h Repas officiel au Hilton, plus intéressant lui aussi par les rencontres et discussions que l’on y mène que pour le menu lui même.

 

A ma table le Consul Général de France, l’Ambassadeur de Hollande, l’Ambassadeur de Grande Bretagne, et le « représentant chypriste turc… »

 

Un tour d’horizon passionnant et beaucoup de questions au seul représentant français que je suis.

 

A 22h nous nous séparons. Dehors il fait triste. L’automne renforce son manteau de grisaille.

 

Jeudi 8 novembre – 8h

 

La journée commence tôt avec un petit déjeuner de travail en compagnie de représentant du parti communiste turc. Là encore, l’important est plus dans l’existence de la rencontre que dans ce qu’on y dira.

 

9h30 – la séance reprend avec une rencontre avec les syndicats turcs. Les organisations syndicales viendront y démontrer les limites à l’action syndicale au droit du travail et aux Droits de l’Homme. Le co-président turc aura bien du mal à se garder de les couper. D’ailleurs, une fois, n’y tenant plus, il essaiera…. en vain.

 

Le débat va prendre un ton plus dur encore avec la question de la liberté de la presse. Les témoignages des représentants de la presse turque seront particulièrement sévères pour le régime Turc. Pour eux tous les ingrédients de la dictature restent là. C’est assez extraordinaire d’entendre de telle dénonciations ainsi exprimées devant les parlementaires européens par les turcs eux mêmes. Difficile pour certains responsables turcs de rester calmes. Une ou deux fois d’ailleurs ils n’y arriveront pas et la conclusion du co-président turc à 13h30 en direction des parlementaires européens sera à la limite de la courtoisie.

 

13h30, c’est l’heure du départ pour le Palais du Consulat Général pour un repas privé très sympathique dans ce petit coin de France. L’ambiance est chaleureuse et les discussions intéressantes.

 

Et c’est le retour au Hilton dans une voiture sur laquelle flotte le drapeau français.

 

Il est 15h45 ; c’est l’heure du débat avec l’ensemble des partenaires économiques.

 

Une dominante : Qu’attend l’Europe pour nous donner ce à quoi nous avons DROIT ?

 

La réponse de la commission, toute diplomatique en l’absence de tout commissaire, se félicitera de tout et laissera fermées toutes les portes.

 

A 18h30 on se sépare, à 20h on se retrouve pour un repas pris au siège des chambres de commerces. A notre table, les Consuls Généraaux de France, d’Espagne, du Portugal, un attaché d’ambassade Danois et l’Ambassadeur d’Allemagne.

 

Après les précaution d’usage toute la soirée va tourner autour de la future guerre du golfe. Disons le il n’est personne pour croire encore à une solution pacifique ni non plus à une guerre rapidement victorieuse. Ce sera la guerre et elle sera coûteuse en vie, en matériel, en villes et en champs pétrolifères.

 

A 22h30, le retour à l’Hôtel permet d’aller prendre un alcool sec dans le très agréable piano bar turc du Hilton. Cela fait du bien après une journée si chargée et avant une autre journée tout aussi chargée.

 

 

 

Vendredi 9 novembre

 

8h le réveil, 9h petit déjeuner avec le gouverneur de la province du Sud Est autrement dit « le Kurdistan ». En fait, en, raison de son retard, on déjeunera mais sans discuter.

 

Cela dit, en séance vers 9h40 il nous fait un long exposé sur la situation de sa province :

–    terrorisme

–    défense des populations

–    marxistes

–    complot international victimes civiles des terroristes

–    répressions etc…

 

C’est le discours des dizaines de fois entendus en Algérie, au Vietnam, au Chili, en Afghanistan, en Cis-Jordanie et ailleurs. De torture il n’y en a pas. D’atteintes aux droits de l’homme ? Neni….

 

C’est un discours politique qui va entraîner une discussion vive souvent à la limite de la rupture. Les responsables turcs de notre commission sont effrayés de leur propre audace… Mais nous ne pouvons pas nous taire et je ne me tairai pas. J’interviendrai pour dire ma pensée avec le maximum de courtoisie sur la forme mais sans aucune concession au niveau du fond. Nous n’obtiendrons pas, je n’obtiendrai pas de réponse satisfaisante.

 

Néanmoins, je le pense le débat est toujours utile et ce débat fut utile. Je connais mieux aujourd’hui la Turquie et j’entends m’y investir davantage.

 

12h, le temps d’un verre au bar et de quelques mini sandwichs et l’attente commence… D’abord celle d’une voiture, puis dans la voiture au milieu d’embouteillage assez monstrueux.

 

Une heure pour se rendre à l’aéroport sous la pluie, la même que lorsque l’on est arrivé, aussi battante et peu agréable.

 

L’arrivée à l’aéroport m’ouvre à nouveau le salon VIP où je peux attendre pendant qu’on enregistre mes bagages et contrôle mon passeport.

 

Vers 16h30 on vient me chercher en car pour me mener directement à l’avion. Nous avons plus d’une demi heure de retard au décollage pour cause d’encombrement nous dit-on de l’espace aérien. Il est 18h50 quand nous arrivons à Zurich. (Il y fait froid 2°). Le temps du transfert et je prends l’avion pour Bruxelles qui lui même aura 20 minutes de retard en raison de l’embouteillage de Zurich.