Brexit: la frontière irlandaise, jeu de DUP

Theresa May et Jean-Claude Juncker le 4 décembre à Bruxelles.

L’accord espéré à l’issue de la rencontre entre Theresa May et Jean-Claude Juncker ce lundi a achoppé sur la question du statut de l’Irlande du Nord. Le Democratic Unionist Party, petit parti allié indispensable à la Première ministre britannique, a refusé un aménagement permettant d’éviter l’établissement d’une frontière physique entre les deux Irlandes.

 

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Moins de trois minutes, des visages fermés, pas de sourires, pas d’explications ou de questions aux journalistes. La conférence de presse de la Première ministre britannique, Theresa May, et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lundi à Bruxelles, ressemblait à un pétard mouillé, un feu d’artifice complètement raté. Très attendu, l’accord qui devait marquer la première avancée significative des négociations sur le Brexit après de longs mois de tensions n’a donc finalement pas eu lieu.

Le temps presse. Lors du prochain Conseil européen, le 14 décembre, les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement devront décider si des progrès suffisants sur la première phase des négociations ont été réalisés pour permettre de passer à la seconde phase. Les deux parties sont pressées d’entamer cette nouvelle étape, qui doit définir les conditions d’une période de transition après le départ officiel du Royaume-Uni de l’UE, le 29 mars 2019, et le cadre des futures négociations commerciales.

Engagements financiers

Une fois de plus, les attentes ont été déçues ce lundi. Jean-Claude Juncker a souligné à quel point Theresa May était une «négociatrice dure, pas facile», un jugement qui devrait ravir les Brexiters au Royaume-Uni. Mais, apparemment, la Première ministre a en fait été prise en otage par le petit parti nord-irlandais du DUP (Democratic Unionist Party). Depuis la perte de sa majorité aux élections de juin, les dix députés de ce parti permettent à May de gouverner. Et dictent en partie la marche des négociations, notamment en ce qui concerne l’Irlande du Nord.

Des progrès significatifs avaient pourtant été réalisés ces derniers jours sur les deux autres questions de cette première phase des négociations: la facture du Brexit, le règlement des engagements financiers, a été débloquée depuis que Londres a finalement reconnu qu’il lui faudrait sans doute payer autour de 50 milliards d’euros. Des progrès ont également été réalisés sur le futur statut des citoyens européens, ceux vivant au Royaume-Uni (environ 3 millions) et les Britanniques vivant dans l’UE (environ 1,2 million).

Ferme désaccord

Mais le problème de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, qui, post-Brexit, deviendra la seule frontière terrestre entre l’UE et le Royaume-Uni, reste en suspens. Dublin, Londres et Bruxelles sont tous d’accord pour tenter d’éviter l’établissement d’une frontière physique, mais la situation est compliquée par le fait que Theresa May a souhaité que la sortie de l’UE soit accompagnée d’une sortie du marché unique et de l’union douanière. Dans ce cas, l’introduction de tarifs entraînerait, logiquement, une forme de contrôle douanier.

Lundi matin, un accord écrit usant de termes très précis et soigneusement choisis autour de la question de cette frontière semblait pratiquement ratifié. Il prévoyait qu’aucune divergence de régulations entre le sud (dans l’UE) et le nord de l’île (sorti de l’UE) ne serait mise en place post-Brexit. Ce qui, de fait, revenait à maintenir l’Irlande du Nord au sein du marché unique et de l’union douanière. Le Taoiseach (Premier ministre irlandais), Leo Varadkar, a exprimé sa «déception» face aux développements de la journée ayant bloqué l’accord, et confirmé que le contenu du texte avait été «accepté» par tous. Sauf par la dirigeante du DUP, qui n’a pas apprécié du tout de ne pas avoir été consultée. Depuis Belfast, Arlene Foster a exprimé son ferme désaccord alors que Theresa May et Jean-Claude Juncker déjeunaient. La Première ministre britannique a interrompu sa rencontre pour l’appeler, mais Arlene Foster n’a pas cédé, refusant que l’Irlande du Nord soit traitée différemment du reste du Royaume-Uni par crainte de trop rapprocher le nord de l’île de la République d’Irlande.

Vues extrêmes

Au fil des heures, la situation est devenue de plus en plus ubuesque. L’Ecosse, puis la ville de Londres, puis le pays de Galles ont déclaré qu’ils réclameraient les mêmes avantages potentiels que l’Irlande du Nord. A savoir rester dans le marché unique et l’union douanière. Le 23 juin 2016, l’Ecosse a voté à 62% pour rester au sein de l’UE, Londres à 60% et le pays de Galles a choisi le Brexit à 52,5%. L’Irlande du Nord, pour sa part, avait voté à 56% pour rester au sein de l’UE.

La suite des négociations est donc entre les mains du DUP, seul parti nord-irlandais à avoir soutenu le Brexit. Les vues de ce parti unioniste protestant sont plutôt extrêmes. Le DUP était opposé à l’accord de paix en Irlande du Nord en 1998 qui a mis fin aux trente ans de «Troubles» sectaires qui ont tué 3 600 personnes. Il est également antiavortement, homophobe, anti-mariage gay et pro-peine de mort. Theresa May a promis un milliard de livres (1,14 milliard d’euros) d’investissement en Irlande du Nord en échange du soutien des dix députés du DUP. La crainte de voir son gouvernement chuter et des élections remportées par le Labour de Jeremy Corbyn explique la volonté de May de ménager l’humeur du DUP. Elle doit donc revoir sa copie et consulter le petit parti nord-irlandais dans l’espoir de conclure un accord avant le Conseil européen du 14 décembre. Ce qui, après le cirque de la journée de lundi, est loin d’être acquis.