Le plan Juncker pour l’après-Brexit

Lors de son discours sur l’état de l’Union, le président de la Commission européenne a proposé des réformes institutionnelles pour un sursaut démocratique.

13/09/2017 | Le Point

« Larguons les amarres, mettons les voiles et profitons des vents favorables. » Jean-Claude Juncker a dévoilé ses propositions pour parachever la construction européenne et faire un nouveau saut démocratique. Le 29 mars 2019, le Royaume-Uni aura quitté l’Union. Il le regrette, mais ne doute pas que les Britanniques le regretteront à leur tour. Le président de la Commission européenne n’entend pas se laisser abattre et propose aux 27 États-membres d’organiser, dès le lendemain, le 30 mars 2019, un sommet européen à Sibiu sous la présidence roumaine, pour acter de nouvelles avancées démocratiques. Il a conscience que le scandale Barroso (son prédécesseur qui a été embauché par Goldman Sachs) a laissé des traces dans les esprits. Aussi, a-t-il fait parvenir, aujourd’hui même au Parlement européen, un nouveau code de conduite à destination des commissaires, pendant et après leur mandat, de même que de nouvelles règles de financement des partis européens…

Comment renforcer la démocratie au sein de l’Union ? D’abord, Juncker propose que les prochaines élections européennes, qui se dérouleront en mai 2019, donc après le Brexit, soient l’occasion d’une campagne plus longue de manière à ce que les Européens disposent d’une vision claire de l’avenir européen post-Brexit. À cette occasion, l’ancien Premier ministre luxembourgeois appelle de ses vœux des listes transnationales et propose de prolonger l’expérience des têtes de liste pour la présidence du Parlement européen. Pour gagner en lisibilité, il propose de fusionner en un poste unique la présidence du Conseil européen (actuellement occupée par Donald Tusk) et la présidence de la Commission. De la même façon, il est favorable à la création d’un poste de ministre des Finances de la zone euro qui coordonnerait les moyens financiers de l’Union et serait responsable devant le Parlement européen. Nul besoin, estime-t-il, de créer un Parlement spécifique de la zone euro, le Parlement européen est suffisant. Il rappelle, du reste, que la vocation initiale de l’euro était de devenir la devise de tous les Européens à l’exception de deux États. Un horizon toujours d’actualité selon lui.

 

 

 

Juncker demande aux États-membres d’abandonner la règle de l’unanimité

Juncker rejoint le combat du commissaire français Pierre Moscovici et propose que ce ministre des Finances de la zone euro soit, en titre, le commissaire aux Affaires économiques. Là aussi, par souci de simplification. Si un commissaire européen prend la présidence de l’Eurogroupe, il y voit la garantie que l’intérêt général européen sera à l’ordre du jour des discussions de cette instance informelle qui délibère à huis clos, à l’abri du regard des peuples européens. Le président de la Commission européenne recommande aussi que la zone euro soit dotée d’un budget qui soit, non pas détaché du budget européen, mais une « ligne forte » de celui-ci. Mais comment des États qui aujourd’hui n’adhèrent pas à la zone euro pourraient-ils y consentir ? Juncker ne rentre pas dans ce détail… qui n’en est pas un.

Pour que l’Europe avance, et surtout avance plus vite, Juncker propose que la règle de la majorité qualifiée soit étendue. À traité constant, c’est possible. Pour cela, il suffit que le Conseil européen (qui réunit les chefs d’État et de gouvernement) décide, à l’unanimité, d’accepter à l’avenir la règle de la majorité qualifiée. Dès lors, l’harmonisation de la TVA, de l’assiette fiscale, l’établissement d’un impôt sur les transactions financières, de même que la taxation des bénéfices dans le pays où ils sont réalisés (allusion aux Gafa) pourront être adoptés plus aisément. Pour l’instant, de nombreux blocages persistent, obligeant les États les plus allants à adopter le fastidieux mécanisme de la coopération renforcée… Cela prend des années !

La France peut-elle offrir à l’Europe son droit de veto à l’ONU ?

Le président de la CE propose que l’Europe « ne tourne pas le dos aux travailleurs ». Selon lui, il faut préparer un socle de protection sociale pour les travailleurs de l’Est comme ceux de l’Ouest. Une agence européenne – à créer – serait chargée de contrôler la bonne application des normes sociales à l’image de l’Union bancaire. Et cependant, il ne souhaite pas non plus noyer les Européens sous un fatras de petites normes… D’ailleurs, sa Commission a levé le pied sur ce point en réduisant à moins de 25 ses nouvelles initiatives quand les Commissions précédentes en prenaient plus d’une centaine. Pour lui, la Commission doit se concentrer sur les « grandes orientations ». Il annonce la création d’une nouvelle task force pour repenser la subsidiarité, à savoir le partage des compétences entre les États-membres et l’Union. Celle-ci sera confiée au commissaire Frans Timmermans et associera des parlementaires nationaux et européens. À ce titre, il approuve et soutient la proposition du président Macron que se tiennent, un peu partout en Europe, des « conventions démocratiques » ouvertes à la société civile pour dégager un consensus sur la poursuite de la construction européenne.

Pour sa part, l’avenir de l’Europe, Juncker le dessine en quelques phrases qui sont autant de belles intentions : une Europe dont tous les États-membres défendent les valeurs et respectent l’État de droit sans nuances (allusion à la Pologne et à la Hongrie et refus à l’adhésion de la Turquie en l’état actuel) ; une Europe dont les tous les États-membres adhéreraient à l’Union bancaire et à l’espace Schengen dès lors que nos frontières extérieures sont bien protégées ; une Europe qui n’offrirait plus aucune faille aux terroristes (Juncker propose la création d’une unité d’intelligence européenne par transfert automatique des renseignements) ; une Europe qui s’accorderait, d’ici 2025, sur un outil de défense commune et qui, là encore, déciderait à la majorité qualifiée – et non plus à l’unanimité – de sa politique étrangère commune. Il s’agirait là d’un abandon de souveraineté majeur. Un pays comme la France, membre du conseil de sécurité de l’ONU, pourrait-il être mis en minorité et soumettre sa voix à l’ONU à la décision des Vingt-Sept ? Chimérique ? Juncker ne veut pas entendre les Cassandre et considère que l’Europe n’avance « qu’en faisant preuve d’audace ».